«Still crazy after all these years» ? A bientôt 70 ans, Paul Simon serait plutôt… cool, décontracté, avec cette presque nonchalance que confère la sérénité. Mais sa musique, surtout servie par son puissant band afro-américain, est bien restée «crazy».
«How terribly strange to be seventy», chantait-il dans Old Friends en 1968. Aujourd’hui, à quelques mois près, Paul Simon y est. Et ça n’a pas l’air si horriblement bizarre…
Le sourire malicieux, les doigts lestes sur les manches des guitares, la voix sur qui les ans ne semblent pas avoir prise, le bonhomme a troqué le chapeau mou et l’abominable chemise jaune de la dernière tournée (qui passait aussi par Montreux) contre un t-shirt et une veste nettement plus sobres.
Sobre, voire parcimonieux, Paul Simon l’est par contre toujours autant lorsqu’il s’agit de parler au public. Mais peu importe finalement, il a l’air content d’être là, et ses chansons parlent pour lui.
African beatEpaulé par huit musiciens impeccables - dont le monumental bassiste sud-africain Bakithi Kumalo, qui était déjà sur Graceland en 1986 -, il va alterner deux heures durant morceaux rapides, «punchy» et joyeux et mélodies célestes, poignantes et délicates.
Ça démarre très fort avec The Boy in the Bubble, extrait de Graceland justement, numéro un des ventes en son temps au Royaume-Uni, en Australie, au Canada et… en Suisse. Accordéon, percussions, cuivres, claviers, basse et guitares: la machine tourne à plein régime dès les premiers accords. Le band jouera ce soir six titres de cet album qui fut en son temps celui de la renaissance pour Paul Simon.
Passablement entraînants aussi, les extraits de So Beautiful or So What, la toute nouvelle galette (2011), font alterner les couleurs de l’Afrique et celles des plaines de l’Ouest américain, berceau de la country.
Un ange passePour les moments calmes, Paul Simon va chercher plus loin dans le temps. Avec un répertoire pareil, on n’a que l’embarras du choix. Plus encore peut-être que celles de Bob Dylan, les chansons de Paul Simon alimentent depuis des décennies le répertoire de millions de gratteurs de guitare de rue ou de feu de camp. Pas toujours pour le meilleur, il est vrai… essayez donc d’exécuter correctement The Sound of Silence…
Cette chanson précisément, une des plus belles du 20e siècle, vient au début du premier rappel. Ambiance totalement recueillie. Rarement entendu à ce point le son du silence dans une foule de concert. Ici, les arpèges de guitare suffisent à remplir la salle, tandis que la voix se permet de triturer un peu la mélodie. Peu importe, l’émotion est là. Un ange passe.
Un second passera un peu plus tard, lorsque Paul Simon rend hommage à George Harrison, «l’autre» songwriter des Beatles, en reprenant Here comes the Sun, qu’il avait chanté avec lui en 1976, pour un show télévisé.
Energie et délicatesseA chacun de ces moments intimistes, où la guitare tisse de la dentelle pendant que la voix caresse les âmes, répondent des moments endiablés, qui font trépigner la salle de plaisir, enfin… la zone des places debout tout au moins.
De 50 Ways to leave your Lover à Kodachrome et Late in the Evening, en passant par ce pur joyau gospel qu’est Diamonds on the Soles of her Shoes, le concert ne pouvait se terminer que sur un autre titre de Graceland. Et comme il est d’usage depuis le début de cette tournée, c’est le bien déjanté You can call me Al. Une chanson sur les crises d’identité au tempo diablement dansant, avec son riff de vieux synthétiseur, son solo de pipeau et sa partie de basse totalement funky.
Cette fois, c’est fini. «Funky» Claude (Nobs, patron du festival) vient sur scène saluer le héros du soir avec une rose à la main. Et on se promet de se revoir…
Montreux en tous cas aime Paul Simon. Ses chansons disent les choses de la vie, les amours, les ruptures, les injustices sociales et surtout l’humanisme et l’espoir. Elles disent tout cela avec force, avec humour, avec ironie, parfois aussi sur un ton assez noir, mais toujours avec délicatesse.
La classe, quoi !
Marc-André Miserez, swissinfo.ch, Montreux